TERRACOTA

Dernière modification
le 28 mars, 2017

01. Il vaso di Bartola V. Gillet
02. Rumbaloo V. Gillet
03. Arenales F. Freitez
04. Viento V. Gillet
05. Viejo camino F. Freitez
06. La vita di Matteo V. Gillet
07. Sacramento F. Freitez
08. Danza de la lluvia F. Freitez
09. Hommage à Ohana V. Gillet
10. E la nave va V. Gillet

ac.music.record. Allemagne 1994

Trio Terracota:
V. Gillet: guitar-compo, Fernando Freitez: guitar-compo, C. Franco: percussions
Produced by Peter Finger
Label acoustic music n° 1056 germany

« …que dire de quelqu’un qui nous donne tant de plaisir à travers sa musique?… »
Egberto Gismonti

CD Terracota amr 1056 …Francis Chenot, Une autre chanson, 1995
«…sans doute un des plus subtils jeux de guitare qui soit… Véronique Gillet laisse parler sa sensibilité, explore des chemins buissonniers connus d’elle seule….. Les retrouvailles avec le guitariste vénézuélien Fernando Freitez, un autre élève de Gismonti qu’elle a rencontré à la Martinique, nous permettent de la redécouvrir dans un superbe enregistrement…tout en finesse et délicatesse. Jamais, sur les dix plages de Terracota , la moindre agressivité, les guitares ne sont pas en compétition, même pas en synergie, elles vibrent ensemble, la plupart du temps dans un registre à la limite du recueillement, et les percussions de Carlos Franco soulignet avec une étonnante légèreté l’extrême raffinement de l’ensemble.»

Terracota
Véro, Fernando, Carlos et les autres…Propos recueillis par Philippe Franck en 1996

« Peu avant la sortie de Tres Elementos, le deuxième album de «Terracota» (sur «Acoustic
Music Records»), j’avais rencontré Véronique Gillet pour dialoguer sur la vie de ce trio
belgo-vénézuélien unique, son processus créatif indissociable d’une amitié activement
voyageuse et certains traits récurrents d’une oeuvre intime et généreuse. À travers des
mélodies félines, des rythmiques tendrement organiques et des arrangements à lectures
multiples, s’épanouit l’écriture naturellement gracieuse d’une femme compositeur d’ici qui a
profondément intégré sa passion pour une latinité sans clichés en s’ouvrant de plus en plus à
l’immédiateté de la transmission musicale…….
…. V.G_C’est avec le violoncelle que j’ai commencé à improviser. Cela m’a ouvert le chemin
qui s’est cristallisé dans l’écriture. De par mes études classiques, j’étais plus «coincée» à la
guitare qui est pourtant mon premier instrument. J’ai toujours évolué à l’envers: en général,
on commence avec le violoncelle par un trajet très classique tandis qu’à la guitare, avec
quelques accords, on improvise ou on compose. En fait, j’ai fait le parcours habituel du
guitariste au violoncelle en jouant avec des jazzmen et Jean-Christophe Renault, notamment
au sein de «Charmant de Sable» avant de mélanger ces deux instruments à cordes dans mon
groupe «Areia». J’ai toujours eu le sens mélodique et un attrait particulier pour les cordes.
P.F_ En 1982, tu gagnes à la Martinique, ex æquo avec Fernando Freitez, le premier prix de
composition. C’est là aussi que tu rencontres Egberto Gismonti. Qu’est-ce qui s’est produit à
ce moment là?
V.G_ Non seulement j’ai rencontré le «maître» Gismonti mais aussi l’ami Fernando. Ça a été
un déclic collectif, c’est comme si j’avais planté mes racines à la Martinique. Toutes mes
rencontres futures en sont, d’une manière ou d’une autre, une conséquence. Avec Fernando,
ce fut d’abord une ouverture tant musicale que géographique. Je connaissais déjà la musique
d’Egberto par ses disques et cela n’a fait que confirmer la connivence intellectuelle et
musicale que je partageais avec lui. Il m’a donné envie d’aller au Brésil et de continuer avec
Fernando qui m’est apparu comme mon frère compositeur avant d’être aussi un proche cousin
guitariste. J’ai senti que je ne pourrais plus lâcher ce fil. Egberto fut le catalyseur de cet
instant magique, mais c’est la rencontre avec Fernando qui fut déterminante. Les voyages qui
ont suivi m’ont alors ouvert des portes sur différentes expériences musicales et humaines qui
ont augmenté mon bagage musical et m’ont libérée au niveau de l’improvisation et des
rythmes que j’ai alors véritablement vécus. Au Brésil, la musique est tellement multiple et
omniprésente que j’ai pu diversifier mes rapports et enrichir mon harmonie, en plus de
l’humanité et de l’ouverture d’esprit qui habitent Gismonti. Au Vénézuela, c’est d’abord
Fernando et puis la musique populaire qui m’ont marquée. Même par rapport à ce qui se fait
chez lui, Fernando est très original dans son inspiration et son approche de la composition.
Entre nous, on appelle cela «veneno», le venin qui est ce petit coup de patte qu’il ne peut
s’empêcher comme moi, d’apporter à toute séquence musicale, comme une signature. Il a un
sens de la construction harmonique inné et, en plus, c’est, contrairement à moi, un grand
improvisateur. Nous sommes en fait, très complémentaires tout en partageant une grande
connivence instinctive. Fernando a un long bagage musical. Il a joué dans les bals, du jazz, d
u cuatro (petite guitare à quatre cordes)… Il a une formation d’ingénieur polytechnicien et a
travaillé aussi comme ingénieur du son. Dans son parcours sinueux de musicien à tout faire, il
est un jour tombé sur Carlos Franco-Vivas dans une boîte de nuit où celui-ci travaillait comme
barman et écoutait attentivement les musiciens qui s’y produisaient. C’était dans les années
86-87, et après cette rencontre, ils ont décidé de jouer en duo tinaja-guitare la musique de
Fernando.
Carlos, à cette époque, était encore débutant, avec peu de bagage musical. Il était comme un
gosse qui voulait tout voir, tout capter. Tout à fait autodidacte, mais tellement doué et
travailleur que deux ans plus tard, il s’est retrouvé comme percussionniste solo dans
l’orchestre symphonique de sa ville. Il a appris à jouer des timbales dans les symphonies de
Tchaïkovski, ce qui est très amusant, parce que, d’autre part, il continuait à devoir accepter
des «cachetons» pour survivre. En effet, les musiciens d’orchestre là-bas, avec la crise, ne
sont parfois pas payés pendant six mois. Il faut se rendre compte que, pour eux, une
expérience ici matérialise un rêve extraordinaire. Fernando et moi nourrissions le projet
d’enregistrer un disque à deux guitares depuis deux ans déjà. L’opportunité nous en a été
donnée lorsque son orchestre est venu faire une tournée en France. C’est alors qu’il m’a parlé
de son copain percussionniste Carlos qui n’a eu aucune difficulté à entrer dans cette musique.
Dans Terracota (*), notre premier disque, Fernando et moi formions la base. Mais depuis lors,
c’est devenu un travail de groupe. Même si nous travaillons à distance, on reste en contact
permanent. Dès que l’un de nous écrit un nouveau morceau, il envoie une cassette et la
partition aux autres. C’est parfois frustrant mais aussi extrêmement enrichissant.
L’investissement émotionnel et humain de ce trio est unique, et nous voulons à tout prix le
conserver. Fernando et moi sommes complémentaires dans l’écriture. On se connaît très bien,
ce qui nous permet de deviner et d’anticiper malgré la distance. Et ce dialogue qui
fonctionnait très bien à deux, fonctionne maintenant tout aussi bien à trois. L’écriture
formelle, harmonique, reste individuelle, mais la forme finale devient oeuvre commune.
P.F_ Je remarque chez toi un intérêt chronique pour la latinité qui s’est exprimée depuis tes
débuts jusqu’à aujourd’hui. Finalement, il y a très peu de choses nordiques dans ta musique,
bien que tu sois une fille du Nord.
V.G_ Oui, bien que l’étiquette nostalgique que l’on me colle parfois soit plus nordique. Les
mélodies et les mouvements lents sont nordiques, mais avec des couleurs harmoniques latines.
P.F_ Tu as aussi un double amour: d’un côté les musiques populaires et de l’autre la musique
très intellectualisée de tes compositeurs fétiches tels que Mompou, Ohana, Granados ou
Chostakovitch…
V.G_ Je crois que cela vient de mon entourage familial, qui est relativement intellectuel tout
en ayant les pieds bien sur terre, des racines profondes. Je crois que, dans un premier temps, je
réagis émotionnellement à quelque chose, puis dans un deuxième, je cherche des
développements plus élaborés.
P.F_ Tous les compositeurs que nous venons d’évoquer ont intellectualisé des inspirations
populaires, les ont métamorphosées…
V.G_ C’est une bonne définition de mon travail, qui reste tout près de la terre.
P.F_ Un autre aspect important de ton trajet, c’est le voyage, tant intérieur (tu vis à la
campagne dans un isolement relatif) qu’au sens propre, à travers ton travail et des amitiés…
V.G_ Oui. Toutefois, je n’aime pas la distance, et partout, je me recrée des racines et je tente
de me rapprocher de l’authenticité essentielle des lieux et des gens que je rencontre.
P.F_ Bien que ta musique se détourne des modes, tu t’inscris dans une certaine modernité à la
recherche de valeurs intemporelle.
V.G_ Je me sens comme chargée de défendre des valeurs aujourd’hui en perdition. Je me bats
contre la perte des paramètres sensoriels. Je prends cela comme une vocation que j’essaie de
transmettre en concert via un plaisir physique. Mais je suis éloignée de toutes modes qu’elles
soient….
….P.F_ Tu balises ton oeuvre d’une série d’hommages, notamment à Fellini.
V.G_ Oui, cependant, ce n’est pas une ligne de conduite. En ce qui concerne La nave va, il y
avait des réfugiés albanais et des Tziganes qui arrivaient sur le bateau avec leurs violons. Et
l’air du film m’a trotté dans la tête au moment où j’écrivais la partie rythmique. L’influence
est évidente.
P.F_ Tes titres ne sont jamais abstraits, ils sont liés à des compositeurs, des lieux, des objets,`
V.G_ Parce que je suis moi-même très concrète. C’est toujours le reflet d’une émotion qui
m’a inspirée. C’est une façon de rendre hommage à ma source d’inspiration. Et Fernando
fonctionne de la même manière.
P.F_ Est-ce qu’on peut imaginer la musique sans plaisir ?
V.G_ Non !